Coup de coeur cette semaine pour l’album d’Emmanuel Lepage, « Un printemps à Tchernobyl » (BD LEP). Cet album, paru en 2012, n’est pas une fiction mais un reportage en dessin, un documentaire sur les gens et les lieux de la catastrophe vingt ans après. Emmanuel Lepage, membre du collectif Dessin’Acteurs qui réunit des dessinateurs engagés, raconte ainsi le voyage qu’il a effectué à Tchernobyl au printemps 2008 en compagnie d’un autre dessinateur et d’un couple d’artistes.
La question qu’il se pose à son arrivée tourne autour du bien fondé, de la validité de son témoignage : « J’y suis. Au coeur des ténèbres. Qu’est-ce que je fous là ? ». Mais bientôt, rattrapé par la force vitale des habitants restés ou revenus aux abords de la zone contaminée et par la beauté des lieux, il va chercher à comprendre ce qui fait la particularité de cet endroit : « Je m’interroge sur la vérité des choses… plongé dans un monde dangereux qui se cache, qui triche, qui ment… je veux trouver des signes tangibles… qui disent la tragédie…. que je puisse montrer… une preuve. Rien, rien, rien. » Car ce que découvre sur place Emmanuel Lepage et à travers toutes les précautions à prendre au quotidien pour manger, boire, se déplacer, ce sont certes des gens fatigués, malades, physiquement marqués ; des habitations détruites, des lieux laissés à l’abandon, pillés ; des signes de la dangerosité des lieux. Mais aussi des paysages magnifiques en ce début de printemps, et une certaine joie de vivre chez les habitants, les enfants qui sont nés après la catastrophe. C’est pourquoi Emmanuel Lepage avoue à la fin de son périple : « Ce n’est pas la mort que je suis venu toucher… mais ce qui me fait peur, ce qui se dérobe à mon regard… l’inconnu… le mystère… et c’est la vie qui m’a surpris. »
Graphiquement, l’album est particulièrement réussi. Les planches aux teintes sombres, sublimes, alternent avec des dessins de couleurs (aquarelles et pastels), mélange qui renforce le sentiment selon lequel les lieux de désolation côtoient ceux où la vie reprend le dessus.
Enfin, cet album méritait un coup de projecteur alors que la bibliothèque fête actuellement la poésie, autour de la thématique de la terre. L’élément-terre est en effet présent tout au long de l’album. Et ici, c’est d’une terre souillée, contaminée, fuie par les hommes et néanmoins belle dont il est question. Voici d’ailleurs, en guise de conclusion, ce que dit Emmanuel Lepage à propos de Tchernobyl : « La zone. Une terre sans les hommes… et qui s’en passe. Une terre, en ces jours de printemps, éclatante de beauté, qui pourrait même avoir un air de paradis. Une terre d’où les hommes sont exclus, se sont exclus, se sont chassés eux-même ! »